Entretien avec Riham Jafari – ActionAid Palestine
Deux ans se sont écoulés depuis le début de la guerre en Palestine. Deux années qui ont dévasté un territoire et brisé, dans la cruauté, l’injustice et la violence, la vie de générations entières. Les chiffres ne peuvent plus rendre compte de l’oppression vécue au quotidien, ni de la force et de la dignité de celles et ceux qui, malgré tout, continuent de résister.
Le 15 septembre dernier, nous avons recueilli le témoignage de notre collègue Riham Jafari, responsable de la communication et du plaidoyer d’ActionAid Palestine. À travers ses paroles, nous souhaitons recentrer notre regard sur les personnes, voir leurs visages et écouter la voix de toutes les Palestiniennes et de tous les Palestiniens qui, chaque jour, ne demandent pas la charité, mais la justice.
Mon message à vos soutiens est de rester solidaires et de poursuivre leur engagement. La solidarité n’est pas un slogan, ni un simple geste. C’est un lien vital.
Pour chaque enfant de Gaza qui regarde un ciel traversé de drones plutôt que d’aquilons, pour chaque mère qui rebâtit sa maison sur les ruines d’hier, pour chaque père qui porte le poids de la perte mais choisit encore d’espérer, votre voix leur dit : vous n’êtes pas oubliés.
La lutte du peuple palestinien ne se résume pas à des questions de frontières ou de politique ; elle concerne la dignité, la justice et le droit de vivre libre. Chaque fois que vous prenez la parole, que vous marchez, que vous écrivez, ou même que vous murmurez une prière, vous brisez le silence sur lequel prospère l’oppression. Vous montrez que l’humanité ne nous a pas oubliés.
Ne sous-estimez jamais la portée de votre engagement. L’histoire s’écrit grâce à celles et ceux qui refusent de détourner le regard, à celles et ceux qui défendent la vérité quand le mensonge l’emporte. Restez fermes. Restez forts. Restez solidaires. Chaque acte de solidarité – petit ou grand – fait naître un pont d’espérance assez solide pour résister aux murs et aux guerres.
La Palestine ne demande pas la charité. Elle demande la justice. Ensemble, nos voix unies sont le début de la liberté.
Mon enfance ressemble à celle de tant de réfugiés palestiniens des camps de Cisjordanie : une enfance sans terrain de jeu, où les ruelles étroites et les murs fissurés étaient le seul espace pour courir et rêver. Nos rires résonnaient dans des maisons surpeuplées de tôle et de béton, des rires empreints de résilience, façonnés par les histoires de perte et les générations d’exil. Nous grandissions trop vite, apprenant le langage des checkpoints, du couvre-feu et de la survie avant même de découvrir l’innocence du jeu. Et pourtant, dans nos yeux subsistait une étincelle intacte : la certitude que nous méritions mieux qu’une vie enfermée derrière des barbelés.
Pour les enfants de Gaza, dont le ciel a été blessé par des années de guerre, j’imagine et je souhaite un avenir meilleur. Si le monde agit et brise son silence, s’il met fin à la guerre et à leurs souffrances, alors l’avenir pourra être différent. Un avenir où cette étincelle pourra enfin briller : des salles de classe pleines de lumière plutôt que de décombres, des écoles où le seul son sera celui de la cloche et non celui des bombes, des champs où courir les bras ouverts, sans peur, et un jour où leur identité ne sera plus celle de l’exil, mais celle de la liberté, de la dignité et de la paix sans limites.
Nous devrions apprendre à écrire nos prénoms, à dessiner des fleurs, à faire voler des cerfs-volants dans le ciel. Les enfants de Gaza, eux, apprennent les sons de la guerre : distinguer le vrombissement d’un drone du sifflement d’un missile, reconnaître le silence qui précède une explosion, sentir la peur leur serrer la poitrine dans la nuit. Ils n’ont pas choisi cette vie. Ils n’ont pas choisi de perdre leur maison, leur école, leurs amis, leurs parents. Ils veulent seulement ce que tout enfant mérite : se réveiller en sécurité, jouer librement, rêver sans peur.
Au monde, nous disons : s’il vous plaît, ne détournez pas le regard. Votre silence nous blesse autant que les bombes. Nous ne sommes pas des chiffres. Nous sommes des enfants, comme les vôtres. Chaque jour que la guerre dure, un peu plus de notre avenir disparaît.
Agissez maintenant. Faites entendre votre voix, réclamez la fin de la guerre, réclamez le droit de vivre. Restez à nos côtés, car nous sommes encore là, portés par l’espoir, dans l’attente que le monde se souvienne que nous aussi sommes des êtres humains et que nos vies comptent.
Tout ce qui se passe à Gaza est douloureux et indicible : les bombardements, les morts, les déplacements, la faim, les enfants mutilés, la perte d’amis. Mais ce qui m’a le plus marquée, c’est la faim. La faim n’est pas seulement le manque de nourriture : c’est une guerre lente et délibérée contre la vie elle-même. J’ai pleuré en voyant mes collègues et leurs familles tenter de survivre avec un simple morceau de pain partagé entre beaucoup. Des collègues, des mères, m’ont confié qu’elles se couchaient le ventre vide pour laisser à manger à leurs enfants. Et les enfants pleuraient toute la nuit, non par peur des bombes, mais à cause de la morsure de la faim qui ronge leurs petits corps.
Les marchés sont vides, l’aide est bloquée, et même les aliments les plus simples sont devenus un rêve lointain. La faim ne vole pas seulement la force, elle enlève aussi la dignité, laissant les gens se battre en silence pour survivre, sous le regard du monde. Parler de la faim à Gaza, c’est évoquer une cruauté fabriquée, une blessure qui s’approfondit jour après jour, mais que les gens affrontent encore avec courage et résilience, dans l’espoir que le monde agisse avant qu’une génération entière ne s’efface.
Travailler et communiquer à l’intérieur de Gaza n’a rien de simple. Les humanitaires y sont de véritables bouées de sauvetage, gardant vivante une lueur d’espoir au cœur du chaos, malgré le blocus étouffant et les bombardements sans répit.
Les communications sont souvent coupées, l’électricité fait défaut, et nous comptons sur de faibles signaux téléphoniques, quelques mots écrits à la main et des réseaux de solidarité pour acheminer la nourriture, l’eau et les médicaments là où ils sont le plus nécessaires.
La distribution est toujours un défi : le blocus total imposé à Gaza empêche l’accès des équipes humanitaires. Nous devons alors nous tourner vers des fournisseurs locaux, dans des conditions extrêmement difficiles : les camions sont arrêtés aux points de passage, les stocks s’épuisent, et chaque livraison se fait sous la menace des bombardements.
Pourtant, nos collègues et nos partenaires font preuve d’un courage et d’une détermination remarquables. Ils mobilisent des volontaires locaux, installent des points de distribution et veillent à ce que les plus vulnérables — personnes âgées, femmes, enfants, malades — soient aidés en priorité. Faire face au blocus, c’est trouver des solutions là où il ne devrait pas en falloir, transformer la pénurie en force, et continuer d’avancer avec la conviction que même un simple colis de nourriture ou une bouteille d’eau claire peuvent incarner la survie, la dignité et rappeler que l’humanité n’a pas abandonné Gaza.